Les aurores se font plus généreuses en perspectives et en couleurs. Elles étendent en même temps que l'automne sa résille d'or sur les bois humides, leurs lambeaux de feu déchiquetés en lisière de ciels qui appellent notre regard complice. Ces aurores phosphorescentes nous rappellent nos anciennes visions. Les événements en gestation nous commandent d'en livrer certaines aujourd'hui. Nous ne sommes pas voyants et encore moins prophètes mais ce qui suit est si peu anodin que cela méritait d'être écrit ici.
Nous étions jeunes et pleins d'aspirations grandioses à peine gâchées et notre vie de pensionnaire au Collège royal de Juilly s'écoulait, tranquille en apparence, tourmentée et quelque peu mysticisante en dedans. C'était en 1994. À cette époque, la nuit venue et avec elle l'obscurité et le silence, s'imposaient à nous toutes sorte d'images, spontanément, sans que nous les recherchâmes le moins du monde. Ces images étranges qui se superposaient à la réalité et s'y substituaient à mesure que la lumière baissait d'intensité, gagnaient jour après jour en précision et en complexité, déployaient de plus en plus souvent leur splendeurs devant nos yeux effarés. La curiosité et l'excitation nous inclinèrent à les rechercher fréquemment bien qu'ayant conscience de la folie que cela pouvait potentiellement représenter autant que du danger venant de leur caractère imprévisible et violent. Cette violence n'était pas seulement visuelle. En effet, les images mouvantes et tridimensionnelles s'accompagnaient de sensations physiques et de sentiments divers que nous n'aurions su expliquer.
Un nouvelle récente nous a amenés à nous pencher à nouveau sur cet univers délaissé depuis longtemps, et sur les croquis et notes par lesquels nous avions consigné ces manifestations nocturnes. La vision, à la fois vivante et symbolique, qui nous avait le plus marqué et qui restera à jamais gravée dans notre mémoire prit une acuité et une dimension que je n'aurais pu soupçonner auparavant à la lumière de cet événement. C'était le 27 mai 1994 au soir, peu après que le calme et le silence eût envahi le dortoir, dans notre cellule individuelle isolée de la coursive par un simple rideau, à Juilly. Ce soir-là, nous nous laissâmes entraîner de nouveau dans les corridors incertains de cette sensorialité inhabituelle et sentîmes que les choses allaient être fortes. Les pulsations de notre coeur irradiaient dans tout notre corps. Emergeant d'abord des ténèbres une sorte de lourde porte d'airain, avec en son centre un genre de mascaron patiné à visage humain, proche de la représentation du Roi-Soleil, ou encore d'une tête de gorgone, je ne sais. Nous tentâmes de pousser la porte qui s'entr'ouvrit et ressentîmes aussitôt fortement une présence, un Autre, très proche, presque uni à mous.
in Cahier 1994
C'est alors que nous apparurent deux dauphins adossés aux caractéristiques quasi héraldiques, de couleur bleue et argentée, très lumineux. Ces deux dauphins étaient identiques et formaient une symétrie parfaite. Ils semblaient éclairés de l'intérieur, comme incandescents et se détachaient nettement du fond bleu céleste. Au centre de cette image gémellaire, prit soudain naissance un faisceau de lumière très vive jaillissant du point de contact entre les deux figures en forme de cône renversé. Cette lumière, comme une ouverture, un déchirement dans le fond obscur, grandit et s'écarta en séparant les deux dauphins pour occuper tout le champ visuel. Un confiance et un bien-être inexplicables se dégageait de cette vision magnifique.
in Cahiers 1994
Les mêmes dauphins réapparurent au centre du faisceau, affrontés cette fois et inscrits dans un cercle, augmentant en intensité lumineuse et en brillance tandis que la lumière au second plan prenait une perspective et se mettait à défiler comme un tunnel de feu sans que la figure centrale, statique, en fut affectée. Les détails en étaient très nets et les couleurs très vives. Ce spectacle merveilleux nous inspirait un sentiment aigu de puissance et de hauteur. Cette splendide vison se poursuivit mais l'épisode que nous décrivons ici nous marqua à jamais par la sa majesté et par sa beauté sans que nous puissions lui donner de signification.
A deux dauphins adossés. 1996
Bâton de marche sculpté par nous, 1996
Gironné ondé de six pièces mouvant de la pointe à deux dauphins affrontés brochant. 1998
Cependant, elle nous poursuivit tout au long de notre vie jusqu'à aujourd'hui et nous avons régulièrement fait référence dans nos dessins d'armoiries et diverses autres représentations à ces deux dauphins. Mais aujourd'hui, nous ne pouvons nous empêcher de rapprocher ce souvenir à l'heureux événement que nous avons appris le 25 novembre par un communiqué du Secrétariat de Monseigneur le duc d'Anjou, Louis XX. Leurs Majestés le roi et la reine attendent des jumeaux pour le printemps prochain. Si ce sont de vrais jumeaux, et que ce sont des garçons, ce que nous ne savons pas encore et que nous ne saurons qu'à leur naissance, la gémellité delphinale de notre vision prendra alors tout son sens. Un chose inouïe se produira dans l'histoire de notre race royale : la naissance de deux dauphins de France.
Couronne delphinale
Nous connaissons bien nos lois de dévolution de la Couronne et elles sont limpides. L'héritier de la Couronne est désigné par la loi de primogéniture. Cela signifie littéralement que le premier né sera roi. Mais cette loi n'enlève rien au signe que représente cet événement. Si se sont des garçons, des jumeaux authentiques, ils auront été conçus au même instant, issus de la même cellule, ayant un patrimoine génétique identique et ne naîtrons qu'à quelques instants d'intervalle. Nous voyons là les arcanes du Temps jouer un jeu inédit qui nous remplit à la fois d'allégresse et de craintes. Nous ne pouvons pour l'heure que féliciter Leurs Majestés et nous réjouir par avance pour la continuité de la Couronne. Mais nous n'avons certes pas fini de méditer cet événement et ses possibles conséquences méta-historiques.
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J'aime beaucoup......
RépondreSupprimerattendons cette jumelle naissance... qui des deux sera l'ainé, garant de la royale descendance ???
Anonyme
En cas de jumeaux monozygotes (issus du même oeuf) l'ainé est celui qui sort en second car il a été conçu le premier et se trouve donc situé au fond de l'utérus.
RépondreSupprimerpetite leçon de biologie mais vous le saviez déjà !
pardon je voulais parler de jumeaux "dizygotes" bien évidemment !
RépondreSupprimeranonyme