samedi 31 octobre 2009

À plus d'un titre



Tout comme les princes, l'argent possède un titre. Celui-ci indique la proportion de métal précieux dans l'alliage nécessaire et était jusqu'à récemment garanti par un poinçon spécifique. Mais les meilleurs usages se perdent de nos jours en matière d'authenticité et ce qui vaut pour l'orfèvrerie vaut également hélas pour nos princes. Si je parle d'argent, et de princes, c'est que j'ai eu le plaisir de retrouver au fond du tiroir d'un guéridon un objet qui fut dans mes jeunes années un genre de talisman, matérialisant la profonde et subtile intuition qui se dessinait en moi depuis l'enfance et qui se résume très bien en un mot, la légitimité. Ce fétiche d'adolescent en quête de références culturelles et philosophiques originales au sens littéral n'est autre qu'une pièce de cinq pesetas en argent de 1898, représentant à son avers le jeune roi constitutionnel Alphonse XIII de profil et à son revers, les armes de celui-ci. Par quel mystérieux caprice mon inspiration intellectuelle allait-elle m'attacher sentimentalement à cette monnaie étrangère et abîmée, qui ne miroite même pas de l'éclat ensorcelant de l'or ?

Au-delà de la simple grâce que le graveur a su conférer au visage du jeune garçon et qui le rend si émouvant, cette pièce recèle un trésor symbolique caché qui renvoie à une page essentielle de notre histoire, de celles dépourvues d'images bariolées que le commun passe sans les voir. Mais remontons de quelques années. Le 24 août 1883, le comte de Chambord, Henri de France, dernier des descendants du roi Charles X et héritier de la Couronne, s'éteint en exil à Frohsdorf , Autriche, sans postérité. C'était après une tentative manquée du Maréchal de Mac-Mahon, alors président de la République et fort d'une assemblée en majorité royaliste, pour restaurer la monarchie. L'Histoire de France, si féconde en situations désespérées où, dans une nation divisée, elle met en grand péril le camp légitime pour mieux le faire triompher ensuite, va susciter une question qui n'aurait jamais dû être posée, mais qui le fut. Qui succède à Henri V dans ses droits à la Couronne ?


Henri de France, comte de Chambord

Si cette question n'aurait pas dû être posée, c'est qu'en France, le roi est saisi automatiquement par la mort du précédent roi par le truchement des lois fondamentales du royaume réputées intangibles. Le successible est donc désigné par le droit royal historique qui, en cas de disparition sans postérité, appelle le collatéral le plus proche par ordre de primogéniture mâle, à l'infini ! De plus la Couronne est réputée indisponible, ce qui signifie que nulle volonté humaine, fut-ce celle du roi lui-même, ne peut modifier cet ordre, autrement dit légitimer ses bâtards royaux, abdiquer ou renoncer à ses droits pour lui et a fortiori pour ses descendants. Ces lois impliquent également que ce doit être un prince français, ce qui signifie qu'il doit appartenir à la Maison de France, celle-là même que l'on désigne par le nom de Capétiens. Ainsi Henri III avait transmis la couronne à son cousin Henri de Navarre. Et c'est là qu'on se dit que tout va pour le mieux. Qui est-ce ?

C'était sans tenir compte des poisons insidieux distillés dans la société française au fur et à mesure que les régimes et les révolutions se succédaient, apportant leur lots de confusion et de contradictions, leur bataillons de défenseurs échevelés de tel ou tel nouvelle idéologie, leur jeux de neuves et changeante fidélités. Que valent des droits face aux faits ? Ce sont pourtant ces mêmes faits qui vont engendrer une mouvance se réclamant elle-même du droit. En effet, par l'usurpation d'un trône fort enbourgeoisé de Louis-Philippe d'Orléans, roi des Français, rejeton du citoyen doublement parricide Égalité, les successeurs de ce celui-la ne démordrons plus de leur tout nouvellement acquis droit à la Couronne. Deux traditions ? Même pas...


Philippe de France, roi d'Espagne

Mais revenons à la mort du comte de Chambord et à nos lois de dévolution de la Couronne. Elles sont alors sans appel et désignent l'aîné des descendant de Philippe de France, duc d'Anjou, que Louis XIV, son grand-père avait eu grand peine à placé sur le trône ultra-pyrénéen du Habsbourg Philippe IV dont il héritait par sa grand-mère, la reine Marie-Thérèse d'Autriche. Ce prince est Jean de Bourbon, comte de Montizón, prétendant carliste en Espagne et désormais Jean III de France de jure. En effet, les Orléans, bien que cousins du roi, ne sont qu'une branche cadette issue du frère du roi Louis XIV, Monsieur. Mais le contexte brouillé en France par la tourmente révolutionnaire depuis un siècle les place au premier plan et ils héritent, sinon des droits, du moins de la place qui reste à occuper. De fait – peu peuvent avoir raison et beaucoup se tromper – une majorité des légitimistes français fusionnent avec les orléanistes pour soutenir le duc d'Orléans, jadis titré « comte de Paris » par l'usurpateur. Inutile, je pense, à ce stade de préciser où, dans cette affaire, je place la légitimité.

Lorsque Philippe de France devint roi des Espagnes, il fit mettre dans ses armoiries un écusson sur le tout aux armes d'Anjou, son titre français. Ces armes sont de France à la bordure de gueules. Le destin laisse de petits cailloux blancs. On retrouve, à quelques détails de blasonnement près, ces armoiries au revers de ma pièce de monnaie. Cependant, un examen attentif permet de voir que l'un de ces détails est parlant. l'écusson d'Anjou a tout simplement perdu sa bordure de gueules, ce qui signifie que c'est désormais un écusson d'azur à trois fleurs de lys d'or, soit un écusson de France ! En 1898, la nouvelle branche aînée ne badine pas avec les symboles. Cette acte discret pour le néophyte, est lourd de conséquences pour la suite, nous auront l'occasion d'y revenir. Pour l'heure je vais m'employer à décrasser mon trophée retrouvé afin que quelqu'éclat arraché au vieux métal vienne se perdre dans mes yeux confiants et rassérénés.

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